On confond souvent les rôles de producteur et fournisseur d’électricité, en pensant qu’un fournisseur d’électricité doit forcément s’appuyer sur un parc de centrales de production. Il n’en est rien ! On peut tout à fait imaginer un producteur d’électricité (qui exploite des centrales nucléaires, ou à gaz, ou à charbon, voire des éoliennes ou des centrales hydrauliques…) qui revend l’intégralité de sa production sur les « marchés de gros » de l’électricité. De la même façon, un fournisseur d’électricité peut parfaitement alimenter ses clients sans posséder la moindre centrale : il doit alors s’approvisionner sur les mêmes « marchés de gros » de l’électricité.
L’électricité, un produit comme les autres… Ou presque !
Comment fonctionne ce marché ? A peu près de la même manière que pour tout autre produit (une action, le pétrole, ou le blé…), c’est à dire via une bourse organisée, ou des échanges gré-à-gré entre acteurs. Avec une spécificité de taille : l’électricité ne se stocke pas, ce qui a des conséquences sur la façon de s’approvisionner en électricité et sur l’évolution des prix.
On distingue deux sortes d’achat d’électricité sur les marchés de gros :
- les achats à terme, qui correspondent à une consommation future, par exemple l’année suivant l’achat. On parle d’achat de produit « Forward » (dans le cas d’un achat en gré-à-gré) ou « Future » (dans le cadre d’un achat sur une bourse organisée) ;
- les achats d’équilibrage au fil de l’eau, appelés communément « au Spot », qui correspondent à la consommation du lendemain. La spécificité du produit électricité est fortement liée à ces achats au « Spot », qui servent à équilibrer
Prenons le cas cas d’un fournisseur d’électricité qui souhaite alimenter son portefeuille de clients mais qui ne dispose pas de centrale de production. Il doit alors s’approvisionner sur les marchés de gros. Principale difficulté : l’électricité ne se stocke pas. Ce fournisseur va donc devoir acheter de l’électricité, pour une quantité correspondante à l’énergie consommée par ses clients, au pas horaire ! A savoir : durant toute la durée des contrats de ses clients finaux, et pour chaque heure, le fournisseur doit acheter la bonne quantité d’électricité. Rappel : il y a 8 760 heures dans une année…
Première chose à faire : prévoir sa consommation (voir notre article sur le sujet) ! Une fois ce travail de prévision mené, le fournisseur dispose de la consommation prévisionnelle de son portefeuille sur toute la durée des contrats. Il peut alors s’approvisionner : on dit qu’il « couvre », ou par un affreux anglicisme, qu’il « hedge » sa consommation. Continuons notre exemple du fournisseur souhaitant couvrir sa consommation et, pour simplifier, plaçons-nous en 2014 pour une consommation en 2015, sur une année civile.
L’achat initial, « à terme » : sécuriser sa prévision de consommation
Le graphique ci-dessous représente la prévision de consommation, au pas horaire, du portefeuille de notre fournisseur.
Le fournisseur effectue donc des achats à terme pour couvrir cette consommation. Ces achats peuvent être réalisés soit en gré-à-gré auprès d’un producteur d’électricité (on parle alors d’échange OTC pour « Over The Counter », ou via une bourse organisée, comme EEX en Europe (https://www.eex.com/en/). Le principe est simple : il s’agit d’acheter des quantités d’électricités, selon plusieurs formats classiques. On parle de « produits de marchés » [1]:
- produit « Base » : quantité d’électricité de puissance constante toute l’année ;
- produit « Peak » : quantité d’électricité de puissance constante de 8h à 20h du lundi au vendredi, nulle les autres heures de l’année.
On peut aussi parler de produit « Off Peak », bien qu’il ne s’agisse pas d’un standard sur la bourse organisée : il s’agit de toutes les heures hors « Peak ».
Ces produits peuvent être achetés sur plusieurs horizons de temps : une année civile, un trimestre, un mois… Mais selon certaines règles : par exemple, on peut acheter un produit annuel jusqu’à 3 ans à l’avance (2014 pour 2017). Pour des produits trimestriels ou mensuels, le délai est plus court : le fournisseur doit donc sans cesse adapter ses achats selon les produits disponibles sur le marché. En pratique, cela peut s’assimiler à un jeu de construction : couvrir sa consommation avec les produits disponibles sur le marché. Attention, dans certains cas, il faut aussi revendre l’énergie achetée en trop ! Le graphique ci-dessous montre ce que peut être un résultat de ce jeu de construction. En assez simplifié, bien entendu, on ne se risque pas à dessiner des produits « Peak » !
Ce « jeu de construction » est un des secrets de fabrication des fournisseurs. En effet, on voit bien qu’il existe plusieurs méthodes pour couvrir un même profil de consommation : plusieurs produits à acheter ou à vendre, à des horizons de temps différents… C’est ce qu’on appelle la « stratégie de couverture ». Chaque fournisseur détermine la sienne et cherche sans cesse à l’optimiser : qui dit bonne stratégie de couverture dit prix compétitifs…
Cependant, on le constate bien sur le graphique ci-dessus : il est impossible de couvrir exactement un profil de consommation au pas horaire avec des produits standards de marché. C’est une des grandes difficultés des fournisseurs : ils doivent sans cesse compléter leur approvisionnement par des achats au pas horaire. Or, la seule façon d’acheter de l’électricité au pas horaire est d’attendre… la veille du jour de consommation !
L’achat au fil de l’eau « au Spot » : s’équilibrer au fil de l’eau
Chaque jour, le fournisseur doit ajuster sa prévision de consommation, au pas horaire, pour le lendemain. Il peut alors procéder aux achats et reventes, au pas horaire, nécessaires à couvrir exactement la consommation de ses clients, pour chaque heure. Dans ce cas, contrairement aux achats « à terme », il n’a plus de stratégie de couverture : il faut tout couvrir, à tout prix. Tout MW consommé et non couvert sera sinon payé encore plus cher (voir paragraphie suivant…).
Les prix Spot sont le résultat d’un mécanisme dit de « Fixing » : chaque jour, tous les acteurs du marché (producteurs, fournisseurs, traders…) centralisent leur besoins en électricité, en achat comme à la vente, au pas horaire. La bourse du Spot (http://www.epexspot.com/) calcule alors le prix résultant de l’offre et de la demande, au pas horaire. Par exemple, un fournisseur qui souhaite acheter 1 MWh, de 18h à 19h, pour le lendemain, en informe la bourse Spot la veille au matin. Dans l’après-midi, on l’informe qu’il devra payer ce MWh à un prix déterminé par le Fixing. Conséquence : les prix peuvent évoluer de façon très brutale, en fonction de la variation de la consommation. On dit que le prix de l’électricité est très « volatil ».
L’achat subi : les « écarts » et l’équilibrage du réseau électrique
Et ce n’est pas fini ! Parce que si la somme des achats réalisés sur les marchés à terme et au spot couvrent parfaitement la prévision de consommation… Et bien la prévision n’est jamais parfaite ! Si, par exemple, un fournisseur prévoit, pour une heure donnée, une consommation de 100 MWh, il se couvre logiquement à hauteur de 100 MWh (ie il achète 100 MWh d’électricité pour cette heure-là). Et si son portefeuille de clients consomme finalement 101 MWh ? Ses clients sont-ils coupés ? Bien sûr, non. Le gestionnaire de réseau de transport, RTE, est garant de l’équilibre physique du réseau ; il fait en sorte que chaque client soit alimenté en continu. Mais, pour autant, il faut bien que quelqu’un l’achète, ce MWh manquant ! C’est le rôle du Responsable d’Equilibre, ou « RE ». Afin d’avoir le droit d’alimenter des clients, tout fournisseur d’électricité a l’obligation de désigner son RE vis-à-vis de RTE. La plupart du temps, un fournisseur est d’ailleurs son propre RE.
RTE facture à chaque RE, pour chaque heure, l’électricité manquante ou excédentaire. Il s’agit, pour le RTE, d’acheter, ou revendre, pour chaque heure, l’écart entre la consommation prévue et la consommation constatée du fournisseur. Bien entendu, ce n’est pas bon marché ! Par construction, ces prix ne peuvent pas être plus intéressants que le prix Spot, pour une heure donnée… Si l’écart du RE était dans le « bon sens » (ie a servi à équilibrer le réseau), le prix facturé par RTE est le prix Spot. En revanche, si l’écart du RE avait tendance à aggraver l’équilibre global du réseau à cette heure-là… La facture peut être élevée ! Chaque fournisseur / RE est ainsi incité à prévoir au mieux sa consommation afin de ne pas déséquilibrer le réseau électrique.
[1] Nous décrivons ici les produits classiques de la bourse. En OTC, tout est théoriquement possible, mais dans les faits on reste assez proche de ce qui existe sur la bourse.