Pourquoi les prix de gros de l’électricité baissent… mais pas les factures du consommateur ?

C’est une tendance de fond depuis le début de l’année 2013 : les prix de gros de l’électricité baissent (voir notre article sur les marchés de gros de l’électricité). Illustration : le graphique ci-dessous représente l’évolution des prix « à terme » depuis début 2012. Il s’agit du prix d’1 MWh d’électricité, de puissance constante sur toute l’année 2015 (une cotation par jour, depuis début 2012).

base2015

On constate que,entre 2012 et 2013, le prix moyen baisse de 10 € / MWh, passant de 52 € / Wh à 42 € / MWh (soit environ -20%.

Or, les consommateurs (du grand industriel au particulier) n’ont pas vu leur facture d’électricité baisser de 20% en 2013 : où est donc le « loup » ?

C’est simple : le prix brut de l’électricité n’est qu’une part assez faible de nos factures d’électricité. Selon le type de client, l’achat de l’électron représente de 25% à 60% de la facture (le pourcentage est plus faible pour les petits consommateurs particuliers, plus élevé pour les gros consommateurs industriels). Or, les autres composantes de la factures, elles, ne baissent pas ! Il s’agit principalement des coûts de transport et distribution, et des taxes et autres contributions liées à l’électricité.

Par exemple : la CSPE (Contribution au Service Public de l’Electricité). Cette contribution sert notamment à soutenir le développement des énergies renouvelables, via les tarifs d’achat de l’électricité éolienne et photovoltaiques. La CSPE est passée de 4,5 € / MWh en 2010 à 16,5 € / MWh, soit + 12 € / MWh. Plus de détail :http://www.cre.fr/operateurs/service-public-de-l-electricite-cspe/montant

Dès lors, on comprend aisément que nos factures ne baissent pas. Mais le développement des énergies renouvelables est une cause que tous les consommateurs devaient être fiers de soutenir, non ?

Pourquoi les prix de gros de l’électricité baissent… mais pas les factures du consommateur ?

Quatre « exceptions françaises » de l’énergie

Vous pensiez que le vin, le fromage et le financement Public du Cinéma étaient les seules exception Françaises ? Et bien non : dans le monde de l’énergie aussi, la France occupe une place à part. Nous allons évoquer dans cette article quatre spécificités énergétiques bien de chez nous.

Avant de parler de la France, prenons un peu de recul, et examinons comment on produit de l’électricité dans le monde. Le graphique ci-dessous nous montre que l’électricité mondiale est principalement produite à partir de… charbon ! La Chine et l’Inde, grands consommateurs d’électricité, ont en effet recours au charbon pour répondre à leurs besoins grandissant.

Sources (année 2009) : RTE, Eurostat, IEA, graphiques Opera Energie

prodmonde

En Europe, le charbon est moins hégémonique, mais il reste central, à égalité avec le gaz naturel et le nucléaire :

prodeurope

1/ Première spécificité : l’électricité Française est principalement d’origine nucléaire, à presque 80% : record mondial !

La France dispose de 59 réacteurs nucléaires (pour 132 en Europe). Seuls les Etats-Unis en ont davantage, avec 104 réacteurs nucléaires, pour une part du nucléaire de seulement 20% dans la production totale d’électricité.

 

prodfrance

Les seuls pays à rivaliser en terme de part du nucléaire dans la production électrique sont la Suède (52%), la Belgique (55%), la Slovaquie (56%). En Europe, plusieurs pays n’ont pas recours au nucléaire : Italie, Portugal, Autriche,  Irlande, Danemark…

 

2/ Nous nous chauffons à l’électricité

En parallèle de la construction des centrales nucléaires, la France a développé massivement le chauffage électrique (http://fr.wikipedia.org/wiki/Chauffage_%C3%A9lectrique).

Très peu de pays ont fait ce choix, en raison du mauvais rendement énergétique du chauffage à l’électricité. Exceptions notables : la Norvège et le Québec, eux aussi, se chauffent à l’électricité. La raison est simple : ces pays produisent leur électricité à plus de 90% à partir d’énergie hydraulique… Dès lors, autant utiliser au maximum cette électricité !

Conséquence pour ces pays chauffés à l’électricité : une grande « thermosensibilité » en hiver. A savoir : la consommation d’électricité dépend fortement de la température. En France, la baisse de la température de 1°C en hiver a pour conséquence une hausse de la puissance électrique consommée équivalent à 2 réacteurs nucléaires ! Le schéma ci-dessous montre, pour le glacial hiver 2012, la part du chauffage dans la consommation électrique en France (source : RTE).

hiver2012

Notons que la thermosensibilité peut aussi être inversée. Au Texas, par exemple, comme dans beaucoup d’états du sud des USA le large développement de la climatisation crée une forte thermosensibilité en été. Leur problème est alors inversé : l’augmentation de la température en été crée des pics de consommation d’électricité…

 

3/ EDF fournit ses concurrents !

En France, la production électrique d’origine nucléaire représente environ 400 TWh / an. Les ¾ de cette production sont utilisés pour alimenter les clients d’EDF, principalement via les Tarif Réglementés de Vente (article à venir sur le sujet). Le ¼ restant, soit 100 TWh, est la quantité maximale qu’EDF réserve pour ses concurrents. En effet, le principal fournisseur d’électricité est tenu de vendre à ses concurrents un ¼ de sa production, à prix coûtant ! C’est le mécanisme ARENH (Accès Réglementé à l’Electricité Nucléaire Historique), mis en place par la loi NOME (Nouvelle Organisation du Marché de l’Electricité) du 7 novembre 2010. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce mécanisme au fil de ce blog…

4/ Nous roulons au diesel. Autre développement concomitant à la construction des centrales nucléaires : le diesel. En effet, la France est un des pays qui utilisent le plus le diesel en Europe. La raison : une fiscalité favorable qui rend ce carburant plus accessible. Or, pour une quantité de pétrole brut donnée, on ne peut pas « choisir » de le transformer en diesel ou en essence : la répartition entre les différents produits du raffinage est relativement fixe. Conséquence : la France exporte son essence et importe son diesel. D’autres pays, comme les USA, sont dans la situation inverse.

Enfin, notons que la façon d’acheter le carburant est favorable au diesel. En effet, on mesure le volume acheté et non pas la masse. Or, un litre d’essence pèse environ 750 grammes, alors qu’un litre de diesel pèse environ 850 gramme. Comme c’est la masse (et non pas le volume) qui représente le mieux l’énergie du carburant, cela explique qu’on consomme « moins » de diesel que d’essence au kilomètre !

Deux articles pour aller plus loin :

http://www.francetvinfo.fr/economie/pourquoi-la-france-est-accro-au-diesel_141237.html

http://www.slate.fr/story/16861/raffinage-total-francais-malade-diesel-ecologie

 

 

Quatre « exceptions françaises » de l’énergie

Pourquoi le gaz de schiste aux USA fait baisser le prix de l’électricité en France ?

Vous l’avez certainement déjà entendu : les prix de gros de l’électricité dépendent des prix du pétrole, eux-mêmes liés aux prix du gaz et du charbon… C’est vrai ! Cet article vous expliquera pourquoi. On comprendra aussi comment le développement du gaz de schiste aux USA peut impacter le prix de l’électricité en France.

Avant toute chose, un peu de théorie : le « merit order » (ou « ordre de mérite »), qui est la clef de voute de l’économie de l’électricité (nota : n’hésitez pas à lire nos articles sur l’approvisionnement en électricité). Bien entendu, l’explication ci-dessous est théorique, mais la réalité n’est pas si éloignée…

Plaçons-nous à l’échelle de la France (c’est inexact : les échange avec les pays frontaliers impactent les prix, la France n’est pas une « île » électrique…). Comme tout prix, ceux du marché de gros de l’électricité sont le résultat de la rencontre entre offre et de demande. Dans ce cas, l’offre est la puissance électrique disponible provenant des centrales de production, et la demande est la consommation d’électricité.

 

Classement de l’offre : les moyens de production

Examinons tout d’abord l’offre. Pour cela, il faut lister tous les moyens de production disponibles en France. Il s’agit ensuite de les classer, afin de déterminer quelle centrale doit être démarrée en priorité. Pour cela, un seul critère : le coût de production marginal. Il s’agit, pour une centrale en fonctionnement, du coût lié à la production d’un seul MWh supplémentaire. Essentiellement le coût du combustible associé, donc. Mettons-nous à la place d’un exploitant de centrale électrique. A chaque instant, la seule question qu’il doit se poser est : dois-je allumer ou éteindre ma centrale ? Pour cela, il compare le prix de gros de l’électricité d’une heure donné (le prix Spot, voire notre article sur le sujet) avec son prix marginal de production. Si produire un MWh supplémentaire lui rapporte davantage que de le produire, il démarre la centrale. Sinon, il ne la démarre pas. Bien sûr, en pratique, le raisonnement est plus complexe, et prend en compte les contraintes techniques et économiques liés au redémarrage des centrales. On n’éteint pas une centrale nucléaire si facilement. La théorie reste pertinente : la décision du démarrage (ou non) d’une centrale dépend essentiellement des coûts marginaux. Ainsi, peu importe les coûts fixes (construction, RH…) : la centrale a intérêt à produire le plus possible, dès que le gain dépasse son coût marginal.

Le schéma ci-dessous montre une vision simplifiée des moyens de production classés par coût de production marginal croissant : en abscisse, la puissance disponible et en ordonnée le coût marginal.

meritorder1 Quelques remarques :

  • le coût marginal des éoliennes et barrages hydrauliques « au fil de l’eau » (comme sur le Rhône) est quasiment nul ;
  • Le coût marginal des barrages hydrauliques à retenue d’eau est lui aussi faible, mais, un tel barrage dispose d’un « stock » d’heures pendant lesquelles il peut fonctionner. Il fonctionne donc en cherchant à optimiser son revenu, en utilisant son stock au moment où l’électricité est la plus chère. On affecte donc à ces barrages des coûts marginaux de production artificiellement élevés[1];
  • Le cas de l’effacement (arrêt ou report de consommation) est similaire à celui des barrages à retenue : un tel client dispose d’un stock d’heures effaçables…
  • Les « CCGT » sont les centrales à gaz (« Cycle Combiné Gaz Turbine »).

 

Pour chaque heure, la demande en face de l’offre

Pour une heure donnée, on considère une consommation d’électricité en France. Les centrales vont alors fonctionner par coût marginal de production croissant, afin d’atteindre le niveau de consommation nécessaire, comme indiqué dans le graphique ci-dessous.

meritorder2

Dans ce cas, ce sont les centrales à gaz (CCGT : Cycle Combiné Gaz Turbine) qui sont « marginales ». C’est donc le coût marginal de fonctionnement d’une centrale à gaz qui fixe le prix de gros de l’électricité. Dans notre exemple, les imports, barrages hydro etc n’ont pas d’intérêt : ils coûtent plus cher que ce que le marché est prêt à payer. A l’inverse, les centrales à charbon, nucléaire etc vendent à prix de marché, supérieur à leur coût marginal de production. Ces centrales bénéficient ainsi d’une « rente infra marginale ». A savoir : pour cette heure donnée, leur revenu dépasse leur coût de fonctionnement. C’est donc la « rente infra marginale » qui sert à rembourser leurs coûts fixes !

 

Le résultat : une journée type de consommation en France

Le graphique ci-dessous montre schématiquement les moyens de production d’électricité utilisés pour satisfaire la consommation en France d’une journée d’hiver.

journelec

On distingue trois type de moyens de production :

  • Base : qui fonctionne, en théorie, toute l’année. Nucléaire, Eoliennes et barrages hydrauliques au fil de l’eau. Coût marginal de production faible.
  • Semi Base (ou semi pointe) : qui fonctionne plutôt en journée, l’hiver. Centrales à gaz et au charbon. Coût marginal de production moyen.
  • Pointe (voire super pointe) : qui fonctionne lors de pics de consommation, en hiver. Barrages hydrauliques, centrales au fioul, effacement de consommation… Coût marginal de production élevé, ou bien « stock » à gérer.

 

La limite du système : la « missing money »

Nous l’avons souligné, cette explication est théorique ; elle permet néanmoins de comprendre un des problèmes majeurs du système électrique : la « missing money » (ou « argent qui manque »). En effet, on comprend aisément qu’une centrale de pointe (fonctionnant au fioul par exemple), qui ne tourne que quelques heures dans l’année, aura beaucoup de mal à rembourser ses coûts fixes. Or, une telle centrale est nécessaire, puisqu’elle permet d’éviter un black out, dans le cas, par exemple, d’un grand froid sans vent…

Dès lors, que peut-on faire pour éviter de tels black outs ? C’est un des enjeux du système électrique actuel. De nombreuses pistes existent, qui feront l’objet d’articles sur notre blog : effacement de consommation, smart grids, marché de capacité…

 

Une conséquence géopolitique inattendue : le gaz de schiste américain fait baisser le prix de l’électricité en Europe ?

Ce mécanisme de formation des prix de l’électricité sur les marché de gros permet d’expliquer des situations étonnantes au plan international. Par exemple : le boom du gaz de schiste a fait chuter sensiblement les prix du gaz aux Etats-Unis depuis quelques années. Conséquence : l’usage du gaz s’est fortement développé outre-Atlantique, au dépend principalement du charbon. Le surplus de charbon est alors exporté, en particulier vers l’Europe. Logiquement, le prix du charbon baisse en Europe depuis quelques années. Application logique du « merit order » : les centrales à charbon sont dorénavant plus compétitives que les centrales à gaz (on dit qu’elles leur sont passé devant dans le « merit order »…). Et le prix de l’électricité sur les marchés de gros baisse… (nota : il existe d’autres raisons à cela, article à venir sur le sujet)

[1] Certains barrages consomment même de l’électricité via des pompes servant à « relever » l’eau vers les retenue, pendant les heures de bas prix d’électricité. Ce fonctionnement, pouvant paraître surprenant au premier abord, est en fait relativement vertueux puisqu’il limite le recours aux actifs polluant (au profit des barrages) durant les heures de forte consommation.

Pourquoi le gaz de schiste aux USA fait baisser le prix de l’électricité en France ?

Prévoir la consommation en électricité, tout un art ! (ou comment la consommation d’électricité aide à mieux mesurer l’économie chinoise…)

Afin de pouvoir s’approvisionner en électricité (voir notre article sur le sujet), chaque fournisseur doit estimer sa consommation future. Il s’agit de prévoir la consommation d’électricité de ses clients, au pas horaire, sur plusieurs années (certains contrats de fourniture d’électricité peuvent durer 3 ans). C’est un sujet central pour tout fournisseur d’électricité : pas de bon achat sans bonne prévision. Or, comme le soulignait avec justesse Pierre Dac : la prévision est un art difficile, surtout quand il s’agit de l’avenir…

Il s’agit d’estimer le nombre et la taille des clients, bien entendu, mais aussi la température, le vent, la couverture nuageuse… Autant de paramètres qui font le bonheur des mathématiciens prévisionnistes. Certains vont même jusqu’à suivre le taux de divorce ! La raison : un foyer unique consomme moins d’électricité que deux foyers séparés…

Autres paramètre essentiel pour la consommation des clients industriels : la conjoncture économique. Les graphiques ci-dessous montrent l’évolution de la consommation d’électricité des clients industriels en France, comparée à l’indice de production industrielle française (qui mesure l’activité industrielle en France). Source : RTE.

consoindus activindus

 

La corrélation est claire. On remarque notamment l’effet de la crise économique de 2009, qui a sévèrement et durablement impacté l’activité industrielle Française. C’est un fait : la mesure de la consommation d’électricité est un indicateur particulièrement fiable de l’activité économique d’un pays. Cela peut être utile : par exemple, depuis quelques années certains économistes s’interrogent sur la fiabilité des chiffres officiels de la croissance Chinoise. En 2007, Li Kegiang (qui n’était pas encore Premier Ministre) aurait lui-même avoué, selon des sources Wikileaks, que les chiffres de la croissance de la proviince du Liaoning qu’il dirigeait à l’époque étaient construites « à la main » et « non fiables ». Sa solution : suivre 3 indicateurs : le montant des prêts accordés, le traffic ferroviaire et, bien sûr, la consommation d’électricité. « Dis-moi combien d’électricité tu consommes, je te dirai qui tu es ».

Pour davantage de détails, voir cet article : http://thediplomat.com/2013/03/the-curious-case-of-chinas-gd-figures/

Prévoir la consommation en électricité, tout un art ! (ou comment la consommation d’électricité aide à mieux mesurer l’économie chinoise…)

Deux inventeurs qui ont changé nos vie (ou : pourquoi la révolution énergétique est encore devant nous)

Les photos ci-dessous représentent deux grands hommes, dont les inventions ont changé nos vies : à gauche, Graham Bell, l’inventeur du téléphone et à droite, Thomas Edison inventeur de la centrale électrique et fondateur de General Electric.

Pour davantage de détails : (http://fr.wikipedia.org/wiki/Alexander_Graham_Bell et http://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Edison).

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Deux anecdotes amusantes :

  • Il existe une controverse, encore d’actualité de nos jours, selon laquelle le premier inventeur du téléphone serait en fait l’américain Elisha Gray, et que Bell se serait « inspiré » de ses travaux ;
  • Thomas Edison était un génie visionnaire, mais avait fait une erreur de taille : il pensait que les réseaux électriques allaient se développer en courant continu (alors qu’ils sont aujourd’hui courant alternatif). Il s’oppose farouchement sur le sujet avec un de ses ingénieurs, grand inventeur et défenseur du courant alternatif : Nikola Tesla. Ce dernier a d’ailleurs laissé son nom à une unité de mesure du champ magnétique (le Tesla, donc).

 Alors, pourquoi vous parler de ces inventeurs ? Pour vous convaincre que le monde de l’énergie est amené à se transformer !

En effet, si Graham Bell revenait parmi nous, nul doute qu’il aurait du mal à reconnaitre son invention… Entre smartphones et appels en visio, nous sommes bien loin de l’invention de notre grand homme !

En revanche, il est assez probable que Thomas Edison se sente tout à fait à l’aise s’il revenait visiter notre réseau électrique. Une centrale qui produit de l’électricité, qui est acheminée via un fil vers des consommateurs… Rien n’a vraiment changé !

Notre conviction, chez Opera Energie, est que la révolution énergétique est devant nous : production décentralisée, stockage, développement massif des EnR, mises en place de smart grids… D’ici quelques années, nul doute que le marché de l’énergie sera bien différent de celui que nous connaissons actuellement.

A suivre…

Deux inventeurs qui ont changé nos vie (ou : pourquoi la révolution énergétique est encore devant nous)

Comment les fournisseurs s’approvisionnent « en gros » en électricité ?

On confond souvent les rôles de producteur et fournisseur d’électricité, en pensant qu’un fournisseur d’électricité doit forcément s’appuyer sur un parc de centrales de production. Il n’en est rien ! On peut tout à fait imaginer un producteur d’électricité (qui exploite des centrales nucléaires, ou à gaz, ou à charbon, voire des éoliennes ou des centrales hydrauliques…) qui revend l’intégralité de sa production sur les « marchés de gros » de l’électricité. De la même façon, un fournisseur d’électricité peut parfaitement alimenter ses clients sans posséder la moindre centrale : il doit alors s’approvisionner sur les mêmes « marchés de gros » de l’électricité.

L’électricité, un produit comme les autres… Ou presque !

Comment fonctionne ce marché ? A peu près de la même manière que pour tout autre produit (une action, le pétrole, ou le blé…), c’est à dire via une bourse organisée, ou des échanges gré-à-gré entre acteurs. Avec une spécificité de taille : l’électricité ne se stocke pas, ce qui a des conséquences sur la façon de s’approvisionner en électricité et sur l’évolution des prix.

On distingue deux sortes d’achat d’électricité sur les marchés de gros :

  • les achats à terme, qui correspondent à une consommation future, par exemple l’année suivant l’achat. On parle d’achat de produit « Forward » (dans le cas d’un achat en gré-à-gré) ou « Future » (dans le cadre d’un achat sur une bourse organisée) ;
  • les achats d’équilibrage au fil de l’eau, appelés communément « au Spot », qui correspondent à la consommation du lendemain. La spécificité du produit électricité est fortement liée à ces achats au « Spot », qui servent à équilibrer

Prenons le cas cas d’un fournisseur d’électricité qui souhaite alimenter son portefeuille de clients mais qui ne dispose pas de centrale de production. Il doit alors s’approvisionner sur les marchés de gros. Principale difficulté : l’électricité ne se stocke pas. Ce fournisseur va donc devoir acheter de l’électricité, pour une quantité correspondante à l’énergie consommée par ses clients, au pas horaire ! A savoir : durant toute la durée des contrats de ses clients finaux, et pour chaque heure, le fournisseur doit acheter la bonne quantité d’électricité. Rappel : il y a 8 760 heures dans une année…

Première chose à faire : prévoir sa consommation (voir notre article sur le sujet) ! Une fois ce travail de prévision mené, le fournisseur dispose de la consommation prévisionnelle de son portefeuille sur toute la durée des contrats. Il peut alors s’approvisionner : on dit qu’il « couvre », ou par un affreux anglicisme, qu’il « hedge » sa consommation. Continuons notre exemple du fournisseur souhaitant couvrir sa consommation et, pour simplifier, plaçons-nous en 2014 pour une consommation en 2015, sur une année civile.

 

L’achat initial, « à terme » : sécuriser sa prévision de consommation

Le graphique ci-dessous représente la prévision de consommation, au pas horaire, du portefeuille de notre fournisseur.

courbe de charge1

Le fournisseur effectue donc des achats à terme pour couvrir cette consommation. Ces achats peuvent être réalisés soit en gré-à-gré auprès d’un producteur d’électricité (on parle alors d’échange OTC pour « Over The Counter », ou via une bourse organisée, comme EEX en Europe (https://www.eex.com/en/). Le principe est simple : il s’agit d’acheter des quantités d’électricités, selon plusieurs formats classiques. On parle de « produits de marchés » [1]:

  • produit « Base » : quantité d’électricité de puissance constante toute l’année ;
  • produit « Peak » : quantité d’électricité de puissance constante de 8h à 20h du lundi au vendredi, nulle les autres heures de l’année.

On peut aussi parler de produit « Off Peak », bien qu’il ne s’agisse pas d’un standard sur la bourse organisée : il s’agit de toutes les heures hors « Peak ».

Ces produits peuvent être achetés sur plusieurs horizons de temps : une année civile, un trimestre, un mois… Mais selon certaines règles : par exemple, on peut acheter un produit annuel jusqu’à 3 ans à l’avance (2014 pour 2017). Pour des produits trimestriels ou mensuels, le délai est plus court : le fournisseur doit donc sans cesse adapter ses achats selon les produits disponibles sur le marché. En pratique, cela peut s’assimiler à un jeu de construction : couvrir sa consommation avec les produits disponibles sur le marché. Attention, dans certains cas, il faut aussi revendre l’énergie achetée en trop ! Le graphique ci-dessous montre ce que peut être un résultat de ce jeu de construction. En assez simplifié, bien entendu, on ne se risque pas à dessiner des produits « Peak » !

courbe de charge2

Ce « jeu de construction » est un des secrets de fabrication des fournisseurs. En effet, on voit bien qu’il existe plusieurs méthodes pour couvrir un même profil de consommation : plusieurs produits à acheter ou à vendre, à des horizons de temps différents… C’est ce qu’on appelle la « stratégie de couverture ». Chaque fournisseur détermine la sienne et cherche sans cesse à l’optimiser : qui dit bonne stratégie de couverture dit prix compétitifs…

Cependant, on le constate bien sur le graphique ci-dessus : il est impossible de couvrir exactement un profil de consommation au pas horaire avec des produits standards de marché. C’est une des grandes difficultés des fournisseurs : ils doivent sans cesse compléter leur approvisionnement par des achats au pas horaire. Or, la seule façon d’acheter de l’électricité au pas horaire est d’attendre… la veille du jour de consommation !

 

L’achat au fil de l’eau « au Spot » : s’équilibrer au fil de l’eau

Chaque jour, le fournisseur doit ajuster sa prévision de consommation, au pas horaire, pour le lendemain. Il peut alors procéder aux achats et reventes, au pas horaire, nécessaires à couvrir exactement la consommation de ses clients, pour chaque heure. Dans ce cas, contrairement aux achats « à terme », il n’a plus de stratégie de couverture : il faut tout couvrir, à tout prix. Tout MW consommé et non couvert sera sinon payé encore plus cher (voir paragraphie suivant…).

Les prix Spot sont le résultat d’un mécanisme dit de « Fixing » : chaque jour, tous les acteurs du marché (producteurs, fournisseurs, traders…) centralisent leur besoins en électricité, en achat comme à la vente, au pas horaire. La bourse du Spot (http://www.epexspot.com/) calcule alors le prix résultant de l’offre et de la demande, au pas horaire. Par exemple, un fournisseur qui souhaite acheter 1 MWh, de 18h à 19h, pour le lendemain, en informe la bourse Spot la veille au matin. Dans l’après-midi, on l’informe qu’il devra payer ce MWh à un prix déterminé par le Fixing. Conséquence : les prix peuvent évoluer de façon très brutale, en fonction de la variation de la consommation. On dit que le prix de l’électricité est très « volatil ».

 

L’achat subi : les « écarts » et l’équilibrage du réseau électrique

Et ce n’est pas fini ! Parce que si la somme des achats réalisés sur les marchés à terme et au spot couvrent parfaitement la prévision de consommation… Et bien la prévision n’est jamais parfaite ! Si, par exemple, un fournisseur prévoit, pour une heure donnée, une consommation de 100 MWh, il se couvre logiquement à hauteur de 100 MWh (ie il achète 100 MWh d’électricité pour cette heure-là). Et si son portefeuille de clients consomme finalement 101 MWh ? Ses clients sont-ils coupés ? Bien sûr, non. Le gestionnaire de réseau de transport, RTE, est garant de l’équilibre physique du réseau ; il fait en sorte que chaque client soit alimenté en continu. Mais, pour autant, il faut bien que quelqu’un l’achète, ce MWh manquant ! C’est le rôle du Responsable d’Equilibre, ou « RE ». Afin d’avoir le droit d’alimenter des clients, tout fournisseur d’électricité a l’obligation de désigner son RE vis-à-vis de RTE. La plupart du temps, un fournisseur est d’ailleurs son propre RE.

RTE facture à chaque RE, pour chaque heure, l’électricité manquante ou excédentaire. Il s’agit, pour le RTE, d’acheter, ou revendre, pour chaque heure, l’écart entre la consommation prévue et la consommation constatée du fournisseur. Bien entendu, ce n’est pas bon marché ! Par construction, ces prix ne peuvent pas être plus intéressants que le prix Spot, pour une heure donnée… Si l’écart du RE était dans le « bon sens » (ie a servi à équilibrer le réseau), le prix facturé par RTE est le prix Spot. En revanche, si l’écart du RE avait tendance à aggraver l’équilibre global du réseau à cette heure-là… La facture peut être élevée ! Chaque fournisseur / RE est ainsi incité à prévoir au mieux sa consommation afin de ne pas déséquilibrer le réseau électrique.

 

[1] Nous décrivons ici les produits classiques de la bourse. En OTC, tout est théoriquement possible, mais dans les faits on reste assez proche de ce qui existe sur la bourse.

Comment les fournisseurs s’approvisionnent « en gros » en électricité ?